Le Médianoche amoureux

Michel Tournier

Language: French

Published: May 23, 2011

Description:

14 contes et nouvelles.

C'étaient des statues sculptées dans le sable, d'une étrange et poignante beauté. Les corps se lovaient dans une faible dépression, ceints d'un lambeau de tissu gris souillé de vase. On songeait à Adam et Eve avant que Dieu vînt souffler la vie dans leurs narines de limon. Le rocher de Tombelaine émergeait de la brume. Suspendu comme un mirage saharien au-dessus des nuées, le Mont-Saint-Michel brillait de toutes ses tuiles vermeilles, de tous les vitraux de sa pyramide abbatiale.
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— Oui, mais une table, une chaise, on sait à quoi ça sert. Un écrivain, c’est utile ?
Il fallait bien que la question fût posée. Je leur dis que la société est menacée de mort par les forces d’ordre et d’organisation qui pèsent sur elle. Tout pouvoir – politique, policier ou administratif – est conservateur. Si rien ne l’équilibre, il engendrera une société bloquée, semblable à une ruche, à une fourmilière, à une termitière. Il n’y aura plus rien d’humain, c’est-à-dire d’imprévu, de créatif parmi les hommes. L’écrivain a pour fonction naturelle d’allumer par ses livres des foyers de réflexion, de contestation, de remise en cause de l’ordre établi. Inlassablement il lance des appels à la révolte, des rappels au désordre, parce qu’il n’y a rien d’humain sans création, mais toute création dérange. C’est pourquoi il est si souvent poursuivi et persécuté. Et je citai François Villon, plus souvent en prison qu’en relaxe, Germaine de Staël, défiant le pouvoir napoléonien et se refusant à écrire l’unique phrase de soumission qui lui aurait valu la faveur du tyran, Victor Hugo, exilé vingt ans sur son îlot. Et Jules Vallès, et Soljenitsyne et bien d’autres.
— Il faut écrire debout, jamais à genoux. La vie est un travail qu’il faut toujours faire debout, dis-je enfin.